«Ça ne peut plus continuer comme ça!» Combien de fois n’ai-je pas entendu cette phrase cette année sur les marchés, dans les quartiers ou dans mes réseaux d’amis.
Il y a effectivement des moments dans l’Histoire où l’on se sent bloqué. Notre système politique, économique et social ne semble plus pouvoir faire face à cette interminable série de crises qui nous submergent.
Ces crises ont une chose en commun. Même si elles frappent durement toutes les couches de la société, un groupe parvient toujours à s’en sortir, ce qui met beaucoup de gens en colère. Après chaque crise, nous voyons ce petit cercle des couches possédantes de nos sociétés renforcer sa mainmise sur la production de richesses. Pendant la crise du coronavirus, Big Pharma, ce conglomérat des grandes entreprises pharmaceutiques comme Pfizer et Astra Zeneca, a pu s’enrichir grâce aux prix élevés que les gouvernements étaient prêts à payer pour des vaccins développés en grande partie avec des fonds publics.
Le bond technologique de ces dernières années a profité aux Facebook, Google et Amazon de ce monde. La guerre bénéficiera essentiellement aux Lockheed Martin et Dassault de ce monde. Et la crise énergétique profite pleinement aux Total, Engie et Shell de la planète.
Contrairement à ce que disent nombre d’idéologues et politiciens de l’ordre établi, nous ne sommes pas «tous dans le même bateau». Sur le Titanic, les couches populaires étaient amassées en troisième classe dans le fond du bateau, bien loin des canots de sauvetage. Les riches se trouvaient près du pont. Il en va de même sous le capitalisme. En ces temps de crise, quel est le point commun entre l’immense majorité de la classe travailleuse qui paie plein pot la baisse de son pouvoir d’achat et la couche des plus riches qui ont vu leur fortune monter en flèche ces dernières années? Poser la question, c’est y répondre.
La fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté dans les dix-neuf premiers mois de la pandémie de Covid-19 qu’au cours de la dernière décennie. Depuis que nos sociétés ont été confinées à cause du virus, il y a eu un nouveau milliardaire toutes les 30 heures. Ce qui veut dire 573 nouveaux milliardaires pendant la pandémie, tandis que 263 millions de personnes ont été plongées dans l’extrême pauvreté pendant la même période.
Le professeur Aviel Verbruggen de l’université d’Anvers a calculé que l’industrie du gaz et du pétrole a réalisé ces 50 dernières années un bénéfice de 2,8 milliards de dollars… par jour! Oui, vous avez bien lu. Deux-virgule-huit-milliards-par-jour. Un hold-up géant. Ni plus ni moins. En Belgique, nous ne sommes pas en reste puisque le service d’étude du PTB a calculé que la multinationale française Engie va réaliser 9 milliards de surprofits d’ici 2024. Attention, je ne vous parle pas ici des «simples» profits. Je parle des surprofits. C’est à dire des profits réalisés «en plus» par Engie grâce à la crise actuelle. Autre acteur du secteur des énergies fossiles, TotalEnergies a réalisé 5 milliards d’euros de bénéfices au deuxième trimestre de cette année. Les profiteurs de guerre ne se trouvent évidemment pas que dans nos pays. De l’autre côté de la ligne de front, la compagnie russe d’hydrocarbure Gazprom enregistre malgré les sanctions (ou grâce à celles-ci?) pas moins de 41,6 milliards de bénéfices en 6 mois de temps. Et de l’autre côté de l’Océan Atlantique, on sabre aussi le champagne. Exxon-Mobil enregistre 18 milliards de bénéfices au deuxième trimestre 2022.
«Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s’anime qu’en suçant le travail vivant, et est d’autant plus vivant qu’il en pompe davantage», écrivait Karl Marx sur la soif de profit des industriels du 19e siècle qui faisaient travailler les ouvriers de manière inhumaine dans les usines de l’époque. Il ne savait pas encore qu’en pompant le fric de notre portefeuille, Engie serait la plus belle illustration de cette réflexion, en Belgique, en 2022!
Non seulement ces multinationales nous pompent notre fric mais, en outre, elles décident de plus en plus des destinées de l’humanité. Jamais au cours de notre histoire, nous n’avons connu une telle concentration de pouvoir économique, et donc politique. Deux multinationales produisent l’essentiel des avions dans le monde: Boeing et Airbus. Une bière sur trois dans le monde est produite par une seule entreprise: AB Inbev. Vous vous rendez compte? Une bière sur trois! Sept entreprises, pas une de plus, contrôlent tout notre marché électrique en Europe. Sept! Une seule entreprise comme Amazon emploie à elle toute seule… 1,6 million de travailleurs. Un-virgule-six-million. Sur Internet, qui allait être l’Eldorado de la démocratie et de la liberté de choix, le moteur de recherche de Google détient 86 % de parts de marché au niveau mondial. Jamais Karl Marx n’aurait pu imaginer une telle concentration du capital. Ce pouvoir économique des sociétés transnationales leur donne aussi un pouvoir politique. Parce qu’avec leurs lobbyistes, leurs médias, leurs experts et leur chantage («attention, sinon nous délocalisons nos usines dans un pays à bas salaires»), ils contrôlent aussi la politique.
Ça ne peut pas continuer ainsi, faisons le switch
C’est tout cela qui ne peut plus continuer. Il est temps de changer de paradigme. Il est temps de changer les règles du jeu. Il est temps de faire en sorte que la recherche de profit des grandes entreprises ne soit plus le fil conducteur des décisions politiques prises dans le monde. Il est temps de faire le switch.
Il est temps de faire le switch pour que nos factures soient payables. Mille euros par mois pour des factures énergétiques, c’est intenable. Et ce dans le seul but d’enrichir encore plus les multinationales du secteur. Ce qu’il faut, c’est que la société reprenne ce secteur en main pour qu’enfin les turbines et les centrales tournent pour les gens et non pour le profit.
Il est temps de faire le switch pour le climat. Nous faisons face à un dérèglement climatique sans précédent avec des inondations et canicules qui se succèdent, sans que cela entraîne un changement radical. Au contraire, les centrales à charbon rouvrent et le gaz naturel est promu énergie propre par l’Union européenne. Pire, les fausses solutions proposées, comme les taxes vertes, aggravent la crise du pouvoir d’achat.
Il est temps de faire le switch pour l’emploi. Car à force de couper dans notre pouvoir d’achat, les politiques gouvernementales et patronales amorcent une crise économique encore plus profonde. Moins d’argent pour les salaires, donc moins d’achats par les travailleurs, donc moins de ventes des entreprises, donc moins d’emplois, donc moins d’argent pour les salaires, donc moins d’achats par les travailleurs... Etc, etc., vous l’aurez compris. J’aurais pu continuer comme ça deux ou trois pages, mais au prix où est le papier aujourd’hui... Les politiques d’austérité et de modération salariale nous plongent encore plus dans la crise de l’emploi.
Pour faire ce switch, nous ne pourrons pas compter sur les partis traditionnels. Libéraux, démocrates-chrétiens, socialistes, nationalistes, écologistes, ils acceptent tous de jouer les règles du jeu de l’économie de marché. Ils nous font croire qu’ils sont impuissants, que le marché va tout résoudre, que les entreprises vont prendre des initiatives, que c’est la faute à l’Europe... La plupart de ces affirmations reviennent à abandonner les gens à la loi de la jungle, à la loi de l’offre et de la demande. «Isolez vous-même votre maison», «Éteignez le chauffage» ou encore «Cherchez vous-même le meilleur fournisseur». Toutes ces propositions ont comme point commun l’abandon des gens aux lois du capitalisme. À quel point peut-on être coupé des réalités de la vie pour se permettre de dire de telles choses? Il faut au moins vivre dans un autre monde financier pour penser comme cela.
Nous ne ne pouvons pas accepter une telle résignation coupable de la part de nos décideurs politiques et économiques. Le temps des rustines et des réparations de fortune est révolu. Les défis sont trop importants pour cela. Et avant de chercher de vraies solutions, il faut s’accorder sur le diagnostic: les anciennes recettes libérales appliquées depuis des décennies ne marchent pas. Passer à la vitesse supérieure signifie opter pour de nouvelles solutions et mettre de côté les recettes du passé.
Choisir des solutions innovatrices, loin des vieilles recettes
Les lignes commencent à bouger. Depuis la crise financière de 2008, plus personne n’ose affirmer que l’État doit prendre moins de place et que le privé va tout résoudre. Même Georges-Louis Bouchez n’ose plus. Depuis la crise du Covid et le fait que les métiers essentiels aient été mis en lumière avec elle, plus personne n’ose dire que la création de richesse est due aux capitains of industry et autres grands PDG de ce monde. Personne n’ose remettre en cause l’idée que ce sont les travailleurs qui produisent la richesse, et non pas le capital. Même Georges-Louis Bouchez n’ose plus. Même dans les pays qui ont été les chantres du néolibéralisme comme les États-Unis et le Royaume-Uni, les avancées spectaculaires des combats syndicaux, comme chez Amazon, ou encore du mouvement britannique Enough is enough, battent en brèche les recettes néolibérales. Même Georges-Louis Bouchez doit en tenir compte.
C’est fou à quel point les solutions libérales sont has been. Old school. Usées. Obsolètes. Ça fait 40 ans qu’elles déferlent sur nos sociétés européennes. 40 ans qu’elles sont appliquées par les partis de droite, mais aussi par ceux de la gauche traditionnelle qui n’ont rien trouvé de mieux que de reprendre le cadre idéologiques de la droite. 40 ans que ces partis capitalistes tentent de nous faire croire que leur programme et leurs recettes sont modernes. Mais ce n’est que de la com, tout ça. En quoi est-ce que travailler pour Uber et être payé à la course est-il «moderne»? Être payé à la course nous ramène 100 ans en arrière. En quoi renforcer les piliers individuels privés de pensions et d’assurance maladie est-il «moderne»? Cela aussi nous ramène 100 ans en arrière. En quoi libéraliser le secteur de l’énergie et donc donner tout le pouvoir économique et politique aux gros producteurs économiques est-il «moderne»? Cela aussi nous ramène 100 ans en arrière. Il aura fallu des millions d’euros en campagne de com de toute sorte pour essayer de nous faire croire que ces solutions du passé allaient être notre futur. Mais des campagnes de com ne remplacent pas le vécu réel des gens. Pour de plus en plus de personnes, le voile se lève. Et elles cherchent de nouvelles solutions.
Ces jeunes qui font peur aux puissants
Les nouvelles solutions radicales ont le vent en poupe. Elles apparaissent lorsque des gens se rassemblent pour dire «enough is enough», «trop c’est trop». Ces solutions vivent dans les cafés, sur les médias sociaux, dans des articles et dans des livres. Dans de plus en plus d’endroits, elles commencent à être mises en pratique, sous la pression des mouvements sociaux qui se battent pour les obtenir. En 2021, un groupe de réflexion néolibéral du Royaume-Uni a tiré la sonnette d’alarme. Il a commandé une enquête qui a montré que la grande majorité des jeunes britanniques aspirent à des solutions socialistes. «Le socialisme des Millenials, de la jeune génération, n’est malheureusement pas quelque chose qui n’est que du tapage médiatique sur les médias sociaux», déplore le think tank.
Les jeunes associent principalement «socialisme» à des termes positifs, tels que «travailleurs», «public», «égal» et «juste». «Capitalisme», quant à lui, est principalement associé à des termes tels que «exploitation», «injuste», «riches» et «entreprises». Ainsi, en Grande-Bretagne, quatre jeunes sur cinq accusent le capitalisme d’être responsable de la crise du logement. Par conséquent, autant pensent également que la résolution de cette crise nécessite une intervention gouvernementale à grande échelle, par le biais de mesures telles que le contrôle des loyers et le logement public. Sept jeunes sur dix sont favorables à la (re-)nationalisation de secteurs tels que l’énergie et les chemins de fer.
Face à cette aspiration de changement, ceux d’en haut, se raccrochent à un monde ancien qui s’écroule devant leurs yeux. Les géants de l’énergie comme Engie ou Total se comportent comme l’industrie du tabac avant eux: nous imposer des mesures mauvaises pour notre santé, pour l’environnement et pour notre portefeuille. Dernier exemple en date: grâce à leur lobbying et à l’oreille favorable qu’ils reçoivent dans les couloirs de l’Union européenne, ils ont réussi, accrochez-vous, à faire reconnaître le gaz, fossile et donc polluant… comme une technologie verte! Tout ça pour continuer à en tirer profit. Et, bien sûr, en recevant des fonds publics destinés à la transition climatique. En fait, c’est vous et nous qui payons ces subsides sous la forme de taxes vertes sur nos factures. Vous pouvez imaginer ça? Ils réalisent des milliards de bénéfices et continuent à recevoir du fric pour de nouvelles centrales électriques qui feront des milliards de bénéfices supplémentaires. C’est ce qu’ils appellent le marché libre, ce marché libre qu’ils veulent protéger à tout prix.
Alors que la transition énergétique piétine partout en Europe, un pays fait exception, le Danemark. Ce pays est reconnu mondialement comme un leader des énergies renouvelables. Le développement rapide de l’énergie éolienne a permis de fermer l’essentiel des centrales au charbon et de lancer une nouvelle filière industrielle, tandis que la majorité des familles profitent de systèmes de chauffage collectif qui font baisser leur consommation et leur facture. La clé de ce succès: les autorités ont gardé le contrôle sur la production et la distribution de l’énergie. Cela leur permet de décider où, quand et comment investir dans l’énergie du futur, et d’en faire profiter les gens.
La force de l’exemple
Si je vous cite l’exemple du Danemark, ce n’est pas un hasard. Ce livre est truffé d’exemples venus de pays étrangers que nous pourrions mettre en place ici et maintenant. Car, au-delà des grands discours, rien ne vaut la force de l’exemple pour rendre une idée crédible. Des mouvements sociaux dans d’autres pays prennent parfois notre pays en exemple lors de leur lutte: l’indexation automatique des salaires a été reprise comme modèle par les syndicalistes de France et des Pays-Bas et les droits des LGBTQI+ sont utilisés comme exemple. Nous aurions donc tort de ne pas nous inspirer des bonnes idées qui viennent de pays proches de chez nous. C’est ce qu’on appelle le nivellement vers le haut.
Prenons la ville de Vienne sur la question du logement. Payer 360 euros par mois pour un appartement de 75 m², vous pensez que c’est impossible? Pourtant, c’est possible à Vienne. Il faut dire que la ville y est le plus gros propriétaire immobilier. C’est ainsi que les autorités de la ville y décident des normes de confort, de qualité et de «payabilité» des logements. Malgré tout l’attrait qu’a la ville de Vienne en matière touristique, y vivre reste largement abordable en matière de logement. En moyenne, 5,3 euros du mètre carré comme loyer mensuel. Comparez cela avec d’autres capitales comme Bruxelles, où les loyers sont 2,5 fois plus chers, ou Amsterdam, où vous payez presque 4 fois plus. Sans parler de Paris où l’on dépense plus de 5 fois plus par mètre carré. La ville de Vienne aide aussi les propriétaires, en intervenant, par exemple, dans les frais de rénovation. Mais à Vienne, ce ne sont pas les promoteurs immobiliers qui décident de tout, comme dans nos grandes villes belges. La démocratie n’y est pas confisquée au profit de quelques acteurs privés. Que du contraire, les habitants sont régulièrement consultés lors de la confection de nouveaux plans d’aménagement. La moitié de la ville est d’ailleurs composée de parcs et de zones vertes. S’agit-il d’un miracle? Non, il s’agit d’une volonté politique, basée sur un choix conséquent. Avoir un toit au-dessus de la tête, est-ce un droit ou est-ce un business lucratif? Ce choix, Vienne l’a fait. Pourquoi pas nous?
Ils l’ont fait, pourquoi pas nous?
Autre exemple, le transport public gratuit. Les Luxembourgeois l’ont fait, pourquoi ne le ferait-on pas en Belgique? Pourtant, ce n’est pas un pays de gauchos, le Luxembourg! C’est le moins qu’on puisse dire. J’ai d’ailleurs été frappé par l’intervention de Max Hahn, le vice-président du parti libéral luxembourgeois, sur le plateau de Christophe Deborsu, sur RTL, un dimanche matin. Après qu’une bonne partie du panel de débatteurs du jour avaient plaidé contre le transport public gratuit, il a répondu ceci: «Quand j’entends les différentes interventions ici sur le plateau, je me revois il y a 10 ans. Nous avions à l’époque exactement les mêmes débats. Nous avions alors lancé l’idée des transports publics gratuits et nous sommes très contents de l’avoir réalisé. Mais le transport gratuit n’était pas la solution miracle. C’était la cerise sur le gâteau. Pour nous, une condition sine qua non était de réaliser des investissements de très haut niveau sur le réseau. Ce n’est que lorsque le transport public est la meilleure alternative que les gens commenceront à plus l’utiliser.» Ce choix, le Luxembourg l’a fait. Pourquoi pas nous?
Vienne, Luxembourg, Danemark et tant d’autres: la force des propositions exposées dans ce livre est qu’elles sont réalisables maintenant et tout de suite. La preuve? D’autres pays ou villes l’ont fait.
Une nouvelle idée ne devient réalité que par la lutte
«Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue» écrivait déjà le grand Victor Hugo. Mais pour que son heure vienne, une bonne idée doit émerger par la lutte.
Quand une idée nouvelle apparaît, elle doit d’abord lutter pour sa survie contre le poids des idées du monde ancien. C’était comme ça dans le passé, c’est comme ça dans le présent et ce sera comme ça dans le futur. Lorsque Galilée est venu avec l’idée révolutionnaire que c’était la Terre qui tournait autour du Soleil, il a dû se battre contre l’idée dominante de son époque qui était l’inverse, à savoir que c’était le Soleil qui tournait autour de la Terre. Il a fallu des luttes intenses pour imposer cette nouvelle idée, au prix de la vie même du savant. Lorsque le mouvement ouvrier est venu avec l’idée de sortir les enfants des mines, c’était une lutte acharnée contre les idées dominantes du grand patronat et des économistes de l’époque qui prévoyaient l’écroulement de notre économie nationale en cas de disparition de cette main-d’œuvre bon marché. Il a fallu des luttes intensives pour imposer cette revendication, devenue évidente aujourd’hui, en tout cas dans notre pays, que la place des enfants n’est pas dans les usines. Lorsque le mouvement féministe a mis en avant le droit à l’avortement, cette exigence a dû se confronter durement aux idées du monde ancien affirmant que le corps d’une femme ne lui appartenait pas et qu’elle n’avait pas le choix d’avorter. Heureusement, les pionnières du mouvement féministe ont tenu bon pour imposer une idée nouvelle et émancipatrice.
«La classe travailleuse est de retour»
Cette lutte pour des idées nouvelles n’est pas qu’une question de bons arguments. C’est avant tout une lutte sur le terrain, une lutte concrète, une lutte de classes. «La classe travailleuse est de retour», a affirmé le syndicaliste britannique Mick Lynch, devenu un phénomène sur les médias sociaux grâce à ses apparitions médiatiques dénonçant sans complexe les mensonges de l’élite britannique. Je pense qu’il a raison. Non pas que la classe travailleuse ait jamais disparu, mais on l’a tellement divisée ces dernières décennies, en montant les gens les uns contre les autres. Nous sommes devenus des clients individuels des compagnies d’énergie et chacun a dû chercher par lui-même le contrat le moins cher. Nous sommes amenés à être coincés tous les matins dans les embouteillages, jurant chacun contre tous les autres conducteurs qui font pourtant également la queue vers leur usine ou leur bureau. Nous sommes restés chacun de notre côté à nous les geler sur un quai où les trains étaient en retard. Nous sommes allés à la recherche d’une maison, ou plutôt à la chasse d’une maison, et toutes les autres familles qui faisaient la même chose sont devenues nos concurrentes dans cette chasse. «Tirez votre plan», telle a été la devise de tous les gouvernements pendant des années. Le résultat a été que tous les gens ont été livrés à eux-mêmes et sont ainsi devenus des concurrents les uns des autres dans la course aux biens et aux moyens en pénurie. Oui, il y a des intérêts conflictuels, des groupes diamétralement opposés, mais ce ne sont pas ces deux personnes qui courent le matin pour obtenir la dernière place libre dans le train ou ces deux jeunes couples qui font monter des enchères pour acheter la maison de leurs rêves. Ce ne sont pas non plus les Wallons et les Flamands ou les gens issus de l’immigration ou les «primo-arrivants». La vraie bataille se déroule ailleurs. Tous les jours, en ouvrant la presse, il suffit de constater les contradictions d’opinions exprimées par les grands actionnaires d’une part, et par les travailleurs et leurs représentants d’autre part. «Il faudra s’habituer à 5 ou 10 hivers difficiles», crient ceux du dessus. «C’est intenable pour nous encore un hiver comme ça», répondent les travailleurs. «Il faut modérer les salaires en Belgique», disent les grands patrons de la FEB. «Que du contraire, nous voulons une augmentation de nos salaires car on ne peut plus payer nos factures», répondent les salariés. «Ne touchons pas trop à Engie qui est un des nôtres», avance le grand patronat. «C’est chez les grandes multinationales qu’il faut aller chercher l’argent», répondent les salariés et les petits indépendants. «Construisons des bureaux et des lofts», demandent les promoteurs immobiliers. «Nous voulons des logements abordables», répondent les familles.
Tous les jours, il suffit d’ouvrir les yeux pour la voir, elle est là devant nous, la lutte des classes. Même si certains tentent de la camoufler, de la cacher, de la maquiller ou d’utiliser d’autres subterfuges. Les classes sont là et bien visibles, les classes et leur lutte existent bel et bien pour ceux qui les vivent au quotidien. Non, tout le monde n’est donc pas dans le même bateau: ceux d’en haut veulent garder leurs privilèges et ne peuvent s’enrichir qu’en écrasant ceux d’en bas… Pour l’instant, je n’ai donné que la moitié de la citation de Mick Lynch. Il a ajouté: «If we fight together we are an unstoppable force in this society!» (Si nous luttons ensemble, nous sommes une force inarrêtable dans cette société).
Lorsque les travailleurs se rendent compte que ce n’est pas leur voisin ou leur collègue qui est le concurrent, mais bien les PDG et les actionnaires des géants énergétiques qui se gavent de subventions, mais bien aussi les promoteurs immobiliers qui, grâce à leurs bons contacts avec les politiciens, s’approprient les meilleurs terrains, alors tout devient possible. Lorsqu’ils se mettent en mouvement, les lignes peuvent alors bouger. On a alors une bataille entre deux classes sociales aux intérêts diamétralement opposés. Et la mise en pratique de nouvelles idées dépend de l’issue de cette lutte.
Grâce au switch, nous cueillons réellement les fruits des avancées technologiques
Cela ne peut pas continuer comme ça, se disent beaucoup de gens. Mais en même temps, il est parfois difficile d’imaginer que les choses pourraient être différentes. Comment la planète peut être détruite, nous l’avons déjà vu des centaines de fois dans des films et des séries. La manière dont nous pouvons améliorer le monde est moins visible. En effet, les organisations patronales et leurs experts nous bombardent quotidiennement de leurs solutions du passé et les crises se succèdent. Pourtant, nos possibilités d’améliorer le monde n’ont jamais été aussi grandes.
«Nous donnons trop d’argent pour trop peu de santé», a déclaré le journaliste d’investigation Ruben Mersch en 2021 lors de sa participation à notre fête annuelle de ManiFiesta. On découvre tant de choses dans la science médicale. Depuis 15 ans, nous connaissons l’ADN complet des humains. Grâce à la thérapie génique, nous pouvons traiter les maladies mieux que jamais. Il existe une toute nouvelle branche de l’immunothérapie qui nous permet d’attaquer les maladies par le biais du système immunitaire. Grâce à ces évolutions, de très bons médicaments fonctionnels sont déjà apparus. Mais dans l’ensemble, il sont trop peu nombreux et arrivent trop lentement. «Il y a trop peu de médicaments dans les domaines où le marché n’attire pas les investissements. Comme les maladies infectieuses, par exemple. Et dans d’autres domaines, la vitesse des progrès est trop lente. Comme pour la maladie d’Alzheimer, par exemple.» Tel est le verdict d’une quinzaine d’experts internationaux, publié au début de l’année dans Nature, la plus grande revue scientifique au monde. «Il est temps de redémarrer notre modèle de recherche biomédicale», ont-ils rajouté. Que le système actuel ne fonctionne pas est logique. L’objectif des grandes multinationales pharmaceutiques est d’obtenir des médicaments sous brevet qui doivent générer le plus de profits possible avant l’expiration dudit brevet, et pas du tout de répondre aux besoins les plus importants pour notre santé. L’économiste italienne Mariana Mazzucato prévient depuis des années que nous devons changer le système. «Les brevets actuels sont préjudiciables à l’innovation. Ils détruisent de la valeur au lieu d’en créer.»
Redonnons de l’oxygène à notre économie
C’est pour cela qu’il faut faire le switch vers des options politiques et économiques qui vont nous sortir de ces crises. Il faut un plan ambitieux pour répondre positivement aux besoins des gens. Une énergie payable et verte, du logement de qualité et abordable pour toutes et tous, un transport public performant et gratuit, un accès démocratique aux nouvelles technologies ou encore des médicaments de qualité et peu chers. Cela devrait être l’évidence dans nos sociétés parmi les plus riches de la planète. Grâce à ces investissements, nous redonnerons de l’oxygène à notre économie. Nous créerons des milliers d’emploi pour garantir la transition énergétique pour le climat. Que ce soit dans la production énergétique, les soins de santé ou encore les nouvelles technologies, nous aurons besoin de beaucoup de monde au travail pour réaliser ces défis. Des scientifiques aux travailleurs du bâtiment, des chimistes et des infirmières aux chauffeurs du transport public: ce plan aura besoin de l’énergie de toutes et de tous pour être réalisé.
Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait
Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire que nous, en tant que société, opérons un changement majeur pour nous prémunir contre une crise. En 1921, la journée de 8 heures a été introduite. En 1936, les travailleurs ont enfin eu droit à des congés payés. En 1945, la sécurité sociale est sortie de terre. À chaque fois, un changement a été opéré à un moment où notre pays traversait une crise profonde. Nous récoltons encore les fruits du changement opéré à ces époques. Notre semaine de travail est limitée, nous pouvons bénéficier de vacances ou de nos pensions et, en cas de revers, nous avons droit à des prestations. Toutes ces choses se sont produites en dépit de la grande opposition de ceux qui disaient: nous ne pouvons pas écarter l’argent. Pourquoi ce qui a fonctionné dans le passé ne serait-il soudainement plus possible?
«Fais le switch.» Ce livre s’est construit avec une jeune équipe ancrée dans la réalité et à la pointe des nouvelles évolutions. Imaginé par une équipe de jeunes de tout le pays, francophones et néerlandophones côte à côte, car aucune de ces crises ne se soucie d’une frontière linguistique imaginaire. À l’opposé de ces politiciens qui ne voient le salut qu’en subdivisant encore plus notre pays dans la logique du «diviser pour mieux régner».
Le biotope de cette jeune équipe, ce ne sont pas les salons de la rue de la Loi ou les réceptions de la FEB, mais les lieux où se rencontrent les infirmières, les enseignants, les conducteurs de train et de bus, les métallos, les pensionnés et les malades, les lieux où ils partagent leurs soucis et leurs rêves. Ils transforment ces préoccupations en expertise. C’est précisément la raison pour laquelle ce livre est devenu urgent. Il contient les aspirations de toute une classe. Les auteurs ne se contentent pas de réfléchir sur le monde, ils veulent aussi le changer.
Si tout cela est possible, pourquoi ne pas commencer tout de suite?
Line et Pauline luttent à Louvain et Charleroi pour l’accès au logement pour tous. Tim et Sofie , comme «médecins du peuple», sont en contact permanent avec les besoins des patients et luttent pour l’accès quotidien aux soins de santé. Natalie, dans la lutte pour le climat, et Germain, contre les factures trop chères, ont fait leurs preuves dans le combat pour une énergie plus verte et moins chère. Octave, vidéaste des «Bonnes Questions» sur YouTube, et Ben, qui a lancé il y a deux ans l’idée du wifi gratuit, sont à la pointe du combat pour que la révolution numérique profite au plus grand nombre et pas aux multinationales comme Facebook ou Google. Julien et Jos sont sur la brèche pour défendre le droit des jeunes et des travailleurs pour un vrai droit à la mobilité.
La plupart des auteurs de ce livre sont (beaucoup) plus jeunes que moi. Voilà un constat qui me remplit de joie et d’énergie. Parce qu’un parti ou un mouvement social ne peut accomplir les nobles tâches qu’il s’est assignées qu’en faisant la place à la jeunesse et à ses idées nouvelles.
Et puis, si nous voulons tant faire un switch, nous le faisons pour nous, bien sûr, mais peut-être encore plus pour les générations futures. On sent à travers tout ce qui se passe que nous sommes à un point de basculement dans l’Histoire. Dans ces moments-là, les choses peuvent aller dans tous les sens. Même si tout cela peut sembler un peu effrayant pour beaucoup de gens, c’est surtout passionnant et aussi très encourageant. À la lecture des propositions contenues dans ce livre, mon cœur bat plus vite. Si tout ça est possible, pourquoi ne pas commencer à y travailler dès maintenant? Cela me démange déjà. Je vous souhaite à tous et toutes le même sentiment.